De l’utilité d’un téléphone portable
752
extravagance-template-default,single,single-extravagance,postid-752,bridge-core-3.1.6,qode-page-transition-enabled,ajax_leftright,page_not_loaded,boxed,,footer_responsive_adv,qode-child-theme-ver-1.0.0,qode-theme-ver-30.4.1,qode-theme-bridge,disabled_footer_bottom,qode_header_in_grid,wpb-js-composer js-comp-ver-7.5,vc_responsive

De l’utilité d’un téléphone portable

C’était bruit répétitif, un peu comme de la terre avec laquelle on comble un trou, qui m’a fait
reprendre conscience. J’étais dans une obscurité totale, sur une sorte de litière étroite, comme sur
une couchette de train de nuit, les bras croisés sur ma poitrine. J’allongeai le bras et constatai que
la couchette au-dessus de moi était vraiment très proche.
C’est alors que je commençai à me rendre compte que j’étais dans un cercueil et que les bruits
que j’avais entendus étaient les pelletées des fossoyeurs qui comblaient ma tombe.
Je me souvins alors qu’au cours d’une soirée bien arrosée j’avais émis le désir d’être enterré
avec mon téléphone portable. Tout le monde avait ri mais je voyais bien que tous comprenaient
ma démarche.
En tâtant le vieux costume mité dont on m’avait affublé, je sentis la forme de mon vieux
téléphone. Quel chance ! Comme ce n’était pas le modèle le plus récent, il est probable que ma
femme a pensé que c’était un bon moyen de s’en débarrasser en le fourguant dans le cercueil.
Je m’apprêtai à téléphoner à ma femme lorsqu’un doute surgit dans mon esprit. Le vieux docteur
M. qui avait confondu une état de catalepsie avec l’état de mort voyait bien que ma femme était
souvent excédée par ma présence et il aura donné assez légèrement sa bénédiction à mon
enterrement. Ma femme enfin libérée a probablement déjà donné mes habits à la croix rouge, elle
a sans doute débarrassé toutes mes affaires et réorganisé l’appartement à sa guise. Donc ce n’est
pas auprès elle que je vais solliciter du secours : elle pourrait faire la sourde oreille. Est-ce que je
vais appeler un de mes fils ? Ce n’est pas non plus une bonne idée car avec leur épouse ils ont du
probablement déjà dépensé virtuellement une bonne partie de l’héritage. Le docteur M.? Il risque
de ne pas réagir car cela lui apporterait une très mauvaise publicité. Par ailleurs, il m’apparut que
ce veuf encore vaillant avait des attentions ambiguës envers ma propre femme. En somme, ma
disparition semblait soulager beaucoup de monde.
Je pensai alors qu’un journaliste trouverait là un scoop extraordinaire. Heureusement, j’avais un
ami dans cette corporation et il figurait au nombre des numéros de téléphone enregistrés dans la
mémoire de mon appareil. Sa surprise passée, il réagit exactement comme je l’avais imaginé et
quelques heures plus tard je perçus le bruit rassurant d’une excavatrice. Je sentis alors mon
cercueil se soulever puis le bruit encourageant des tournevis qui libéraient le couvercle.
Ouf, enfin un petit vent d’air frais et j’aspirai cet air bien venu à plein poumon. La première bolée
d’air est vraiment la meilleure, un peu comme la première gorgée de bière ! M’étant habitué à
nouveau à la clarté, je vis beaucoup de monde : la télévision, les journalistes, le représentant des
pompes funèbres avec un magnifique bouquet de fleurs. Je souriais en pensant qu’il l’avait peut-être
« emprunté » sur une tombe voisine, mais l’intention était bonne et c’est une des premières
fois que j’avais un si grand plaisir de contempler des fleurs vivantes !
C’est alors que je vis ma femme qui souriait avec un petit air un peu emprunté. A ses côtés, le
docteur M. ne savait pas très bien quelle attitude adopter en raison de son diagnostic un peu
hasardeux. Mes enfants accompagnés de leur conjoint avaient aussi des sourires un peu figés.
Mon ami le journaliste avait eu la bonne idée d’apporter un petit pâté et un petit flacon de vin
blanc et j’ai apprécié alors ce qui m’a semblé être le meilleur pic-nique de ma vie.
Après un court trajet en ambulance, l’accueil à l’hôpital fut magnifique et je traversais les couloirs
sous les applaudissements d’une double haie d’infirmières, de médecins et de journalistes. L’ami
journaliste qui m’avait ramené à la vie à sa façon était à mes côtés. C’est lui qui s’est alors chargé
de filtrer tous les intervieweurs, les curieux et les vendeurs de toutes sortes.
Après avoir répondu à toutes les questions des journalistes, j’eus la visite de plusieurs directeurs
de homes pour personnes âgées qui tous me proposaient, dans le but d’asseoir la notoriété de
leur établissement, la meilleure chambre de leur maison, un service personnalisé de qualité et la
promesse de répondre à mes moindres désirs.
Je reçu aussi le directeur régional de Apple (c’est la marque de mon téléphone) qui m’offrit un
contrat publicitaire des plus avantageux en échange de photos sur lesquelles on verrait l’appareil
qui m’avait sauvé la vie.
J’optais alors pour un home pour personnes âgées au grand soulagement des mes proches. J’ai
une belle chambre avec vue sur le lac. Je suis gâté comme un coq en pâte et les revenus
confortables de mes contrats publicitaires m’ont permis d’abandonner immédiatement mon
héritage à ma famille reconnaissante et à organiser mon emploi du temps sans aucun soucis
pécuniaire.
Un traiteur vient à ma demande chaque fois que des amis me rendent visite. Des taxis me
conduisent où j’ai envie d’aller. Bref, tout baigne ! C’est probablement mieux que la résurrection
promise par les Ecritures.
Tout cela grâce à mon téléphone portable ! Merci Apple !